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22 juin 2025 | 10 MIN.
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Comment la Russie poursuit ses objectifs stratégiques ?

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Yurii Boiko

La guerre entre la Russie et l’Ukraine se poursuit. De nombreuses tentatives de négociations de paix ont échoué. Une fois de plus, il est clair que les conflits ne se règlent pas par de simples appels téléphoniques, et que la diplomatie personnelle ne suffit souvent pas à produire des résultats concrets.

L’Ukraine se bat — comme il y a dix ans, comme hier, et comme demain. Certains diront que rien n’a vraiment changé depuis l’investiture de Donald Trump le 20 janvier. Libre à chacun de juger quelle partie fait le plus d’efforts pour atteindre la « paix ». Mais une question demeure : comment la Russie parvient-elle à poursuivre ses objectifs stratégiques, malgré le changement de leadership à l’Ouest et en plein affrontement avec les dirigeants occidentaux ?

La Russie est une dictature. Ce régime présente de nombreux défauts, mais il a aussi un « avantage » : la capacité de construire une politique étrangère cohérente, pensée à long terme, qui permet d’articuler des décisions à la fois structurelles et opportunistes. Il ne s’agit pas d’une idéologie, mais d’une politique étrangère continue.

L’une des méthodes utilisées par la Russie pour défendre ses intérêts est la menace. Les dirigeants russes formulent des menaces de manière quasi quotidienne, dans le cadre de leur stratégie globale. Mais tous les dirigeants ne disposent pas du plus grand arsenal nucléaire au monde, placé en état d’alerte permanente. Les menaces d’usage de l’arme nucléaire ne sont pas nouvelles. La Russie a commencé à les agiter dès le milieu des années 2000.

Tout a commencé lorsque le président George W. Bush a lancé la création d’un système de défense antimissile (BMD) censé intercepter les missiles de longue portée tirés par des « États voyous » tels que l’Iran ou la Corée du Nord. Les autorités russes ont vu dans ce projet une menace directe pour la « Mère patrie ». En 2006, dans plusieurs discours, Vladimir Poutine a insisté sur la nécessité de moderniser les forces nucléaires russes. Il a déclaré que la Russie développait « de nouveaux types d’armes nucléaires » capables de contourner tout système de défense antimissile (en allusion aux projets américains en Europe de l’Est) :

« Nous ne faisons pas que mener des recherches — nous testons avec succès de nouveaux systèmes nucléaires et balistiques… Je suis convaincu qu’ils garantiront la sécurité de la Russie pour les décennies à venir. »

Peu après, Poutine s’est rendu en Allemagne pour prononcer un discours considéré comme ouvertement « anti-occidental » lors de la Conférence de Munich sur la sécurité. Par la suite, le « nouveau président de la Russie », Dmitri Medvedev, a lancé une invasion de la Géorgie. À mesure que l’influence de la Russie sur la scène internationale déclinait et que les tensions montaient, ses menaces devenaient de plus en plus explicites. Pendant ce temps, les médias d’État russes ont commencé à évoquer ouvertement une invasion de l’Ukraine et des pays baltes comme élément d’une offensive contre la sécurité transatlantique.

Le rêve d’une dissuasion par la coopération économique s’est effondré en 2014, lorsque la Russie a annexé la Crimée et lancé la guerre dans le Donbass.

Tout au long du conflit, les dirigeants russes ont poursuivi divers objectifs stratégiques — allant de la prétendue gestion d’une crise humanitaire dans le Donbass à la volonté de freiner l’élargissement de l’OTAN vers l’est. Mais il semble de plus en plus clair que Poutine souhaite avant tout que les États-Unis renoncent à leur stratégie de dissuasion — diplomatique et militaire — en Europe. Et il considère la guerre contre l’Ukraine comme une première étape dans une stratégie plus large visant à affaiblir l’influence américaine sur le continent européen.

Depuis cinq ans, nous vivons dans un monde où, si quelque chose déplaît à Poutine dans les actions de l’adversaire, il menace d’escalade nucléaire. En février 2022, il a franchi un nouveau cap en plaçant les forces nucléaires russes en état d’alerte spéciale, dans le contexte de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Il a ensuite réaffirmé la doctrine nucléaire russe : « ce n’est pas du bluff » — il utilisera l’arme nucléaire si « les frontières russes » sont violées.

Auparavant, les autorités russes avaient menacé de « tout raser », littéralement, si les pays d’Europe de l’Est osaient livrer à l’Ukraine leurs anciens chasseurs soviétiques. Idem pour l’artillerie américaine. À chaque nouvelle livraison — missiles, chasseurs, chars, anciens ou modernes — des représentants des médias et du pouvoir russes annonçaient la destruction imminente des capitales nord-américaines et européennes.

Dans ce contexte, la guerre russo-ukrainienne est un conflit unique, dans lequel les dirigeants de la plus grande alliance de sécurité au monde (entendez l’OTAN) ont placé la gestion de l’escalade au-dessus de tout le reste. Ni les principes idéologiques comme la justice, la démocratie ou la solidarité, ni les considérations humanitaires, ni même la victoire n’arrivent en tête. C’est pour cela que l’aide à l’Ukraine progresse lentement, suivant une logique de « ligne de rupture », alors que les dirigeants occidentaux pensent en termes de « ligne d’escalade ».
Ils jouent à une sorte de jeu de la patate chaude, en essayant de la garder le plus près possible de leurs mains sans se brûler. Et dans ce jeu, la stratégie de Poutine est limpide : il tente de les intimider en insinuant qu’au moindre geste trop audacieux — il fera exploser la patate, non seulement en plein visage, mais jusque dans les couloirs de leurs bureaux.

Cette stratégie a évolué avec l’arrivée de nouveaux visages à Washington. Le nouveau président des États-Unis, Donald Trump, n’a ni stratégie étrangère cohérente, ni même une vision claire de l’Ukraine ou de la Russie. La plupart des grands think tanks conservateurs l’ont abandonné après son premier mandat, laissant la Heritage Foundation comme unique voix crédible à droite sur ces questions.
Mais même eux ne savent que faire de l’Ukraine. Dans leur tristement célèbre projet 2025, les auteurs n’ont accordé que trois phrases à l’Ukraine dans l’ensemble du manifeste. C’est pourquoi Trump a tenté de mettre fin à la guerre russo-ukrainienne par des moyens politiques : appels, pressions, négociations, accords.

Dans ce contexte, la rhétorique et l’approche russes ont changé. Le conflit est désormais politique — un conflit qui pourrait se régler dans les couloirs de la Maison Blanche ou dans les escaliers du Congrès. Un précédent existe : la crise diplomatique avec le Qatar, où l’attitude de Trump à l’égard de ce pays et des dirigeants de la Ligue arabe semble avoir été influencée par des incitations financières et économiques, plutôt que par une ligne stratégique concertée. Cette stratégie s’est développée dans le cadre de ce que l’on a appelé…«La rencontre autour du globe» 

«La rencontre au globe lumineux» entre le président Trump, le roi Salmane et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi


Les dirigeants de l’Arabie saoudite, des États-Unis et de l’Égypte se sont réunis à l’occasion de l’inauguration du nouveau Centre mondial pour la lutte contre l’idéologie extrémiste. Lors de ce sommet, Donald Trump s’est clairement rapproché de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, en soutenant leur approche de la lutte contre l’extrémisme, avec un accent particulier sur la limitation de l’influence iranienne et des mouvements islamistes comme les Frères musulmans. Ces derniers entretenaient alors des liens étroits avec l’État du Qatar, qui poursuivait activement ses propres objectifs stratégiques dans la région.

Quelques semaines plus tard, en juin 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte imposèrent un blocus au Qatar, l’accusant de soutenir le terrorisme et de maintenir des relations trop proches avec l’Iran. La base aérienne d’Al-Udeid, située au Qatar, abrite une importante présence de l’armée de l’air américaine, essentielle dans plusieurs conflits au Moyen-Orient.

Il s’agit de la plus grande base militaire américaine dans la région. Pourtant, en juin 2017, le président américain a soutenu de facto le blocus visant un pays hébergeant une de ses propres bases stratégiques — dans un contexte de tensions croissantes avec l’Iran. Et il l’a fait... via Twitter.

Alors que Trump affichait son soutien au blocus, son secrétaire d’État, Rex Tillerson, appelait dans le même temps la Ligue arabe à assouplir ses exigences envers le Qatar, plaidant pour une résolution diplomatique. En réaction au blocus et au soutien initial des États-Unis, le Qatar lança une vaste campagne de lobbying à Washington — engageant agences de relations publiques, cabinets d’avocats et anciens responsables gouvernementaux afin d’influencer l’opinion publique. Et avec le temps, cela porta ses fruits. Grâce au soutien du Département d’État et du Pentagone, les États-Unis finirent par adopter une position plus neutre. Le différend autour des prétendus « liens avec le terrorisme » fut en grande partie résolu d’ici 2018. En 2019, Trump accueillait l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, à la Maison Blanche, saluant publiquement le partenariat entre les deux pays.

Le président Trump avec l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani


Auparavant, la Russie devait renforcer sa supériorité militaire sur le champ de bataille pour faire pression sur l'Ukraine et l'Occident. Désormais, des efforts de lobbying et quelques appels téléphoniques suffisent à écarter les États-Unis de l'équation, permettant à la Russie d'obtenir des allègements économiques et militaires.

Nous le voyons déjà en pratique : Poutine fonctionne en mode « deux semaines ». Keith Kellogg soutenait la politique de double voie de Trump envers la Russie – engageme nt au niveau des dirigeants tout en maintenant les sanctions, en livrant des armes à l’Ukraine et en renforçant la défense de l’OTAN. Pourtant, l’Ukraine n’a reçu aucun nouveau soutien depuis l’arrivée de Trump au pouvoir. Cela fait déjà 151 jours. Les Russes intensifient la guerre, ouvrant de nouveaux fronts dans les régions de Dnipropetrovsk et de Soumy. Les frappes de missiles et de drones sont plus nombreuses et de plus en plus meurtrières chaque jour. Peu importe le nombre de fois où Trump accorde à Poutine « deux semaines de plus pour décider », la guerre ne ralentit pas. Elle ne s’est pas arrêtée en 24 heures, comme l’avait prédit la nouvelle administration à Washington.

Dans le contexte du changement de pouvoir à la Maison Blanche, la stratégie de la Russie a elle aussi évolué. Désormais, ceux qui arpentent les couloirs du Kremlin ne menacent plus de détruire votre capitale. Ils affirment plutôt que toute action d’un « dirigeant hostile » nuit au processus de paix ou est politiquement erronée. Ce n’est plus un adolescent avec l’arme nucléaire – comme Poutine sous Biden – mais un vieux professeur de géopolitique, fatigué, qui donne une leçon.

Peut-être n’est-ce que le reflet des tensions dans les relations russo-américaines depuis la fin de la guerre froide, et de la manière dont Moscou interagit aujourd’hui avec le président américain. Biden donnait des leçons à Poutine – ce qui le rendait instable sur la scène politique. Trump est Trump – désormais c’est Poutine qui le sermonne.

Ce genre de situation s’est déjà produit. C’est pourquoi il est si fascinant d’observer le duel entre une dictature continue et des dirigeants changeants qui s’y opposent. George W. Bush (le 42e président) ressemblait davantage à Trump, tandis que la politique étrangère de Biden s’inspire largement des plans établis sous Obama. Et en fonction de cela, Poutine a ajusté sa rhétorique. Plus Bush insistait sur la promotion de la démocratie durant son second mandat, plus Poutine avançait vers l’invasion de la Géorgie. Il n’aimait pas les discours d’Obama sur les crises humanitaires dans le Donbass ni ses critiques sur la guerre en Syrie — ce qui l’a poussé à perdre de plus en plus le contrôle, lançant opération après opération, violant sans cesse les cessez-le-feu et les accords avec l’Ukraine et l’Europe.

Je ne pense pas que Poutine soit irrationnel, comme l’a qualifié Boris Johnson après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Mais je ne crois pas non plus qu’il soit un grand stratège, un maître d’échecs calculant méticuleusement chaque coup. Je pense que c’est un homme prisonnier d’une guerre dont il ne peut sortir, mais qui veut toujours la gagner. Et je crois qu’il est convaincu que sa stratégie peut encore réussir — à certaines conditions.

Quelles conditions ? Je ne sais pas. Mais nous pouvons en deviner certaines en observant ses actes. Le soutien des États-Unis à l’Ukraine dans cette guerre est l’un des éléments les plus cruciaux et puissants de toute la résistance ukrainienne au cycle sans fin d’invasion, de colonisation et de génocide.

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Yurii Boiko
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