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14 juin 2025|8 MIN.
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Le jeu de Graham : les États-Unis vont-ils renforcer les sanctions contre la Moscou ?

Le 1er avril, les sénateurs Lindsey Graham (républicain de Caroline du Sud) et Richard Blumenthal (démocrate du Connecticut) ont présenté le Sanctioning Russia Act of 2025 (SRA2025).

Selon M. Graham, le projet de loi prévoit des « sanctions qui brisent les os », destinées à affaiblir la machine militaire russe, laquelle continue de fonctionner grâce aux centaines de milliards de dollars générés par les exportations d'énergie. L’introduction de droits de douane de 500 % sur les importations en provenance des pays qui achètent des produits pétroliers et de l’uranium russes constitue l’un des éléments marquants du Sanctioning Russia Act of 2025 (SRA2025).

Actuellement, environ 80 sénateurs soutiennent ce projet de loi. La Chambre des représentants se montre également de plus en plus favorable à une initiative similaire, portée par le républicain Brian Fitzpatrick. Le large soutien bipartisan dont bénéficie cette législation témoigne d’un fort consensus parmi les élus en faveur de mesures plus strictes contre la Russie.

Le sort du projet de loi dépend encore de son approbation par le président Donald Trump, qui semble réticent à renforcer les sanctions contre la Russie, malgré ses menaces récurrentes en ce sens.

Cependant, si la position de Trump est relativement claire, les motivations du sénateur Lindsey Graham le sont beaucoup moins. Pourquoi cet homme politique, qui a su bâtir une relation étroite avec Trump à force de flatteries et de compromis constants, défend-il un projet de loi visant à durcir les sanctions contre la Russie — une position que le président ne soutient manifestement pas ? 

Un sénateur guidé avant tout par ses propres intérêts

La stratégie du sénateur Lindsey Graham semble être de faire passer Lindsey Graham avant tout. Il est essentiel de comprendre les particularités de cet homme politique, qui oscille entre un soutien affirmé à l’Ukraine et un refus de voter de nouveaux programmes d’aide à ce pays. Ainsi, pour déterminer si le MAP2025 relève du populisme opportuniste de Graham ou constitue un véritable instrument de politique étrangère, il convient d’évaluer s’il en tire un intérêt personnel.

Pour l’heure, Graham veille à ne pas franchir la ligne rouge d’un affrontement direct avec Donald Trump — une règle de survie bien établie dans la politique américaine actuelle. Cependant, le simple fait de promouvoir un projet de loi sur les sanctions contre la Russie, voire d’en parler publiquement, constitue déjà une forme de pression politique inconfortable pour Trump. Et si ce texte était soumis au vote et obtenait le soutien de plus de 80 sénateurs sur 100, cela placerait Trump dans une position délicate, lui qui s’oppose ouvertement à toute intensification de la pression sur Vladimir Poutine.

En d’autres termes, l’irritation de Trump face à ce projet de loi semble contredire la logique habituelle du comportement de Graham, qui consiste à rester dans les bonnes grâces du président en évitant les sujets ou les initiatives susceptibles de le contrarier.

La clé de cette apparente contradiction pourrait se trouver dans les événements survenus en mars. En effet, Lindsey Graham a annoncé en début d’année sa candidature à sa réélection au Sénat en 2026. Et en mars, il a reçu un soutien public de la part de Donald Trump pour cette réélection.

C’est après avoir obtenu ce soutien — neutralisant ainsi ses rivaux potentiels au sein du parti — que Lindsey Graham a commencé à promouvoir activement le projet de sanctions. Cette démarche s’est traduite par une mobilisation de soutiens au Sénat, mais aussi par une série de rencontres à l’international, notamment avec le ministre français des Affaires étrangères.

Une hypothèse plausible pour expliquer cette soudaine intensification de son activité est que Graham chercherait à se positionner pour devenir chef de la majorité au Sénat, voire à relancer son vieux rêve : se présenter à l’élection présidentielle de 2028. Il avait déjà tenté de briguer l’investiture républicaine en 2016, mais son manque de soutien financier, combiné à la percée fulgurante de Donald Trump, l’avait rapidement écarté de la course.

Quoi qu’il en soit, Graham doit impérativement rester au Sénat après 2026 — un objectif qu’il a en partie sécurisé en mars grâce au soutien de Donald Trump. Mais une seconde composante est tout aussi essentielle : le soutien financier. Pour se distinguer au sein de la chambre haute, Graham doit devenir le « meilleur parmi ses pairs ». Il lui faut donc poser un geste fort, capable de le faire sortir du lot.

Faire adopter un projet de loi visant à renforcer les sanctions contre la Russie lui permettrait précisément de démontrer sa capacité à rassembler les sénateurs autour de lui — un signal fort envoyé aux donateurs républicains potentiels, qui pourraient y voir la preuve de son leadership et de son influence.

Graham met-il la pression sur Trump ou fait-il simplement son travail ?

« Le retrait honteux de l’Amérique d’Afghanistan a non seulement nui à notre réputation, mais a aussi encouragé des agressions dans le monde entier. Si les États-Unis s’engagent résolument pour mettre fin à la guerre russo-ukrainienne, cela peut encore changer. M. Trump peut restaurer notre crédibilité et mettre fin à l’effusion de sang. Comme l’a dit le sénateur Thune la semaine dernière : si Poutine continue de jouer, le Sénat agira. J’espère que tout ira pour le mieux, mais lorsqu’il s’agit du voyou de Moscou, nous devons tous être prêts à agir. » C’est en ces termes que le sénateur Lindsey Graham s’est exprimé dans une tribune publiée à la fin du mois de mai dans le Wall Street Journal.

Les déclarations publiques de Lindsey Graham dans le Wall Street Journal prennent tout leur sens dans deux scénarios possibles.

1. Graham cherche à faire pression sur Trump.

Dans cette hypothèse, la tribune du sénateur constitue un acte de pression calculé à l’encontre de Donald Trump. Graham y combine habilement trois éléments particulièrement sensibles pour l’ancien président, surtout si celui-ci continue d’éviter de condamner fermement Vladimir Poutine :

  • Il établit un parallèle explicite avec le retrait d’Afghanistan — un thème central dans la rhétorique de Trump contre la politique étrangère de Joe Biden.

  • Il place la responsabilité du rétablissement de la réputation internationale des États-Unis directement sur les épaules de Trump.

  • Il qualifie Vladimir Poutine de « criminel ».

2. Graham agit en coordination avec une partie de la Maison Blanche.

Dans ce second scénario, les initiatives de Lindsey Graham pourraient être concertées avec au moins une faction au sein de l’administration Trump, dans le but de légitimer médiatiquement un éventuel virage stratégique. Depuis au moins deux ans, Trump et son cercle MAGA ont mobilisé leurs partisans en adoptant une rhétorique fortement anti-ukrainienne, promettant un règlement rapide du conflit russo-ukrainien. Admettre simplement une erreur de jugement ou un changement de cap serait politiquement coûteux. Ainsi, l’activisme de Graham pourrait préparer le terrain pour un ajustement discret mais significatif de la politique de l’administration Trump vis-à-vis de la Russie

Cependant, le 6 juin, le Wall Street Journal a rapporté que, ces dernières semaines, la Maison Blanche aurait exercé des pressions en privé sur Lindsey Graham afin qu’il modère son projet de loi sur les sanctions contre la Russie. Parmi les propositions des responsables de la Maison Blanche figure l’introduction d’exemptions dans le SRA2025, permettant à Trump de décider discrétionnairement des personnes ou entités à sanctionner. Une autre méthode pour affaiblir le texte consisterait à remplacer le terme « doit » par « peut » dans l’ensemble du projet de loi, supprimant ainsi l’obligation des sanctions prévues. Cette modification viderait de sa substance la loi de Graham, la rendant inefficace, voire inutile, puisque Trump disposerait déjà de la latitude nécessaire pour imposer des sanctions à sa convenance.

M. Graham a déclaré publiquement son intention d’apporter au moins quelques modifications au projet de loi, notamment en ajoutant une disposition permettant d’exempter les pays qui fournissent une aide militaire ou économique à l’Ukraine. Cette mesure vise à protéger les partenaires européens de l’Ukraine des droits de douane de 500 %, étant donné qu’ils continuent d’importer de l’énergie russe. Toutefois, selon le Wall Street Journal, M. Graham n’a pas exprimé publiquement son soutien aux modifications proposées par l’administration Trump.

Quant à M. Trump, il a affirmé que le projet de loi SRA2025 ne devrait pas avancer sans son approbation directe. « Ils attendent que je décide de ce qu’il faut faire », a-t-il déclaré, qualifiant le projet de loi de M. Graham de « dur ».

Sauver la politique douanière de Trump ?

Lindsey Graham semble vouloir protéger simultanément la politique douanière de Trump par le biais de son propre projet de loi, en assurant sa sauvegarde via le Congrès.

Par exemple, le 28 mai, le collège de juges du Tribunal américain du commerce international a jugé que les tarifs douaniers imposés par le président Trump étaient illégaux, estimant que ce dernier avait outrepassé son autorité. Le tribunal a statué que la loi sur les pouvoirs d’urgence internationaux (IEEPA) de 1977, invoquée par Trump pour justifier ces droits de douane, ne lui conférait pas un tel pouvoir.

Selon le Wall Street Journal, le Congrès est en principe responsable des tarifs douaniers, mais, au fil des décennies, il a délégué une grande partie de ses pouvoirs au président. La décision du Tribunal américain du commerce international souligne que la délégation d’une « autorité tarifaire illimitée par le Congrès constituerait un transfert inapproprié du pouvoir législatif à une autre branche du gouvernement ».

Le lendemain de cette décision, la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral a rétabli temporairement, en avril 2025, les droits de douane imposés par Trump, le temps d’examiner s’il convient de prolonger la suspension du jugement du Tribunal du commerce international. Le 10 juin, cette même Cour d’appel fédérale a autorisé le président Trump à maintenir en vigueur les « droits de douane les plus radicaux » pendant l’examen de cette affaire. Cependant, l’affaire n’est pas encore définitivement tranchée, et la politique douanière de Trump reste donc menacée.

Un outil potentiel pour sauvegarder cette politique douanière pourrait être le projet de loi de Lindsey Graham qui, s’il est adopté par le Congrès, renforcerait les prérogatives présidentielles en matière de tarifs. En effet, quel tribunal oserait s’opposer à un président s’appuyant sur une loi votée par le législatif ?

Pour l’instant, la seule retenue de Trump provient de la promesse faite par Poutine d’agir comme médiateur et de faire pression sur l’Iran afin de conclure un nouvel accord nucléaire. Or, les négociations américano-iraniennes semblent aujourd’hui au bord de l’échec. Si le Kremlin ne parvient pas à peser sur l’Iran de la manière souhaitée par Trump, les services russes perdront leur utilité. Dans ce contexte, le projet de loi de Graham pourrait retrouver une réelle opportunité d’être adopté.

Graham est un populiste, mais ce projet de loi reflète avant tout sa motivation personnelle, puisqu’il marque le lancement de sa campagne électorale. C’est pourquoi il joue la montre au maximum et cherche différents moyens de motiver Trump.

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