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7 avr. 2025|11 MIN.
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Trois initiatives atypiques de l’UE et de l’Ukraine qui pourraient freiner les dérives de la Maison-Blanche

Photo: Joshua Roberts

L’Europe et l’Ukraine subissent, chacune à leur manière, le comportement non coopératif des États-Unis : du chantage tarifaire à l’imposition d’un accord sur les terres rares, dont le contenu évoque davantage une capitulation qu’un partenariat. Un tel accord n’a pas sa place entre pays censés se trouver du même côté des barricades.

La dynamique de déstabilisation — dans les relations internationales, le commerce, et les questions de sécurité — ne cesse de croître. La Maison-Blanche est persuadée que, dans un contexte de chaos, elle pourra, grâce à ses ressources et à sa position géopolitique, redéfinir les règles du jeu en faveur des États-Unis, quitte à sacrifier ses alliés les plus proches : l’Europe et l’Ukraine.

Le seul frein possible aux ambitions de Trump serait un précédent de résistance. Le chantage ne fonctionne que tant que l’on n’ose pas y répondre. Il s’écroule dès qu’une riposte atteint son image — cette image même sur laquelle repose la peur, principal levier du chantage.

Malgré leur posture d’aventuriers sans peur, les locataires de la Maison-Blanche doivent tout de même tenir compte de facteurs internes et externes, tels que :

  • Le niveau d’approbation dans les sondages,

  • Les indicateurs économiques,

  • Les réactions de la presse internationale,

  • Et la manière dont la société perçoit les résultats concrets.

Bien que l’administration Trump semble déterminée à satisfaire Poutine, quitte à clore au plus vite le chapitre européen pour se recentrer sur le Pacifique, elle est contrainte d’avancer prudemment, étape par étape, dans sa tentative de « reboot » avec Moscou.

Dans ce contexte, la Maison-Blanche cherche à imposer à l’Ukraine un accord inacceptable sur les terres rares, qui s’est transformé en un mécanisme de prise de contrôle américain sur des ressources et infrastructures stratégiques ukrainiennes. Kiev serait même censé payer pour cette mainmise, afin de couvrir une prétendue dette de 300 milliards de dollars, alors que l’aide américaine réelle ne dépasse pas 120 milliards, fournie en majeure partie sous forme de subventions par l’ancienne administration. Un accord non négociable, fondé sur le fait que Washington sait que Kiev est affaibli et vulnérable.

C’est pourquoi la pression sur l’Ukraine dépasse souvent celle exercée sur Moscou. Trump veut d’abord forcer Kiev à signer cet accord léonin avec Washington, en échange de quoi Poutine pourrait exhiber ce « succès » devant sa population. Si cela échoue, l’Ukraine n’aurait aucune raison de céder, car l’accord américain n’offre ni investissements ni garanties de sécurité, mais simplement un droit de gestion sur les revenus stratégiques du pays, au bénéfice des États-Unis.

Les facteurs extérieurs qui limitent les États-Unis

Dans le monde d’aujourd’hui, les États-Unis ne pourront maintenir leur leadership s’ils continuent à négliger à ce point leurs relations avec leurs alliés et partenaires. À terme, ces tensions extérieures finiront par exacerber les fractures internes : dans une ère d’interconnexion et de révolution informationnelle, l’isolationnisme est un luxe dangereux.

La question centrale devient donc : quelles actions conjointes peuvent entreprendre l’Europe et l’Ukraine pour défendre leurs intérêts respectifs ?
Pour Bruxelles, il s’agit d’éviter la guerre tarifaire et de garantir sa sécurité. Pour l’Ukraine, il s’agit de ne pas tomber dans une nouvelle forme de dépendance néocoloniale vis-à-vis de Washington, tout en consolidant ses positions dans la guerre déclenchée par Moscou.

Trois leviers pourraient affaiblir l’approche destructrice de Trump, lui infliger une défaite stratégique, et en même temps renforcer l’Europe et l’Ukraine.
Ces leviers sont atypiques, voire contre-intuitifs, pour l’UE. Mais justement : ce n’est que par des gestes non conventionnels que le continent peut renverser une tendance défavorable.

Trois leviers d’affaiblissement de Trump :

1. Une stratégie arctique de l’UE pour contraindre les manœuvres politiques de Trump

L’UE pourrait lancer une initiative arctique ambitieuse afin de piéger Trump dans une dynamique de critiques internes. En effet, certaines évolutions récentes passent inaperçues, mais pourraient devenir des pièces maîtresses.

L’arrivée au pouvoir de Mark Carney, nouvellement élu Premier ministre canadien et chef du Parti libéral, a, semble-t-il, modifié l’attitude de la Maison-Blanche. Le départ de Justin Trudeau — honni par Trump — y est sans doute pour quelque chose, mais c’est l’enchaînement d’événements plus larges qui mérite attention.

Au Canada, la question d’un espace commun avec l’Union européenne est à nouveau sur la table, jusqu’à évoquer une possible adhésion nord-américaine à l’UE. Rien de formel, bien sûr — mais le tout nouveau Premier ministre Carney a choisi l’Europe pour sa première visite officielle, soulignant les liens profonds entre Canadiens et Européens.

Sur cette toile de fond, un sondage de l’institut Abacus Data révèle que 46 % des Canadiens soutiennent l’idée d’une adhésion à l’UE, et 68 % ont une image positive de l’Union. Seuls 34 % y sont opposés.

L’Union européenne a salué ces chiffres, tout en écartant formellement l’adhésion du Canada selon l’article 49 du Traité sur l’Union européenne.

Une erreur stratégique de Bruxelles face à Trump

En réalité, en écartant d’emblée toute discussion sur une éventuelle adhésion du Canada, Bruxelles affaiblit inconsciemment un levier de pression puissant contre Trump. Une vision à courte vue.

Voici pourquoi.

Les États-Unis cherchent un accès élargi à l’Arctique, bien au-delà de ce que leur permet actuellement l’Alaska. Et même si l’exploitation énergétique de la région reste aujourd’hui peu rentable — en raison des coûts élevés — l’Arctique conserve un potentiel stratégique immense : jusqu’à 30 % des réserves mondiales de ressources énergétiques, des minerais rares essentiels, sans compter son importance croissante dans les routes commerciales, la course à l’espace, les systèmes de dissuasion et les programmes balistiques.

L’Arctique n’est pas seulement une priorité pour l’administration Trump — c’est un axe central dans les cercles intellectuels et stratégiques américains. Certes, jusqu’à présent, la majorité à Washington considérait l’expansion arctique dans le cadre de partenariats et d’accords, et non par le biais du chantage, de la pression ou de menaces d’annexion sur les territoires alliés.

C’est pourquoi un simple signal laissant entendre que Trump pourrait faire échouer la stratégie arctique des États-Unis — par sa politique brouillonne — suffirait à provoquer une vague de critiques internes. Les milieux influents qui ont porté cette vision d’expansion arctique réagiraient violemment.

Mais encore faut-il créer cette menace. Et justement, les discussions au Canada sur une possible intégration à l’UE constituent un terrain de jeu idéal.

Peu importe que cette adhésion reste hypothétique ou irréaliste — le simple fait que l’idée circule sérieusement est déjà inconfortable pour Washington. Quelques gestes publics symboliques suffiraient à rendre la chose plausible dans l’opinion. L’essentiel, c’est de modeler un récit médiatique cohérent :

« Les décisions irréfléchies de la Maison-Blanche ont éloigné le Canada des États-Unis, rapproché Ottawa de l’Europe, et pourraient coûter à l’Amérique l’accès à ses ambitions arctiques. »

L'axe Arctique Canada–Groenland–UE pourrait constituer une menace pour les ambitions des États-Unis, forçant ainsi la Maison Blanche à adoucir son discours afin de revenir à une situation de statu quo, où des négociations partenariales étaient possibles. Autrement dit, cela limiterait les menaces et la pression.

La déclaration de la porte-parole de la Commission européenne, Paula Pinho, affirmant que le Canada ne pourrait pas rejoindre l'UE pour des raisons géopolitiques, est donc prématurée et mal pensée. Il est vrai que l'article 49 indique : « Tout pays européen qui respecte les valeurs énoncées à l'article 2 et s'engage à les promouvoir peut demander à devenir membre ». Mais le terme « pays européen » n'est pas clairement défini. Il n'est pas précisé selon quels critères il est déterminé : « géographiques », « de valeurs», « culturels » ou « idéologiques ». Est-ce que tous ces critères doivent être remplis, ou est-ce qu'il suffit qu'un seul critère dominateur soit respecté ?

Si l'adhésion à l'UE dépend uniquement des facteurs géographiques, que dire de Chypre, qui géographiquement fait partie de l'Asie de l'Ouest ? Ou du Groenland, qui faisait partie de l'UE jusqu'en 1982 en tant que comté du Danemark ?

De plus, le Canada n'est pas seulement une démocratie nord-américaine ; il fait aussi partie des accords de l'UE dans le cadre du programme Horizon Europe. Le Canada est également membre du Conseil de l'Agence spatiale européenne et participe activement aux programmes européens de communication par satellite, développés pour offrir une alternative aux systèmes américains, y compris à des fins militaires.

En outre, le Canada répond à tous les critères de Copenhague de l'UE. Dans le contexte des ambitions commerciales de Trump, cherchant à mener une guerre commerciale à la fois contre le Canada et l'UE, ces deux derniers pourraient offrir un « havre de paix» pour les investissements mondiaux, incluant ainsi la Grande-Bretagne. Pour les Canadiens, vu leur passé franco-britannique, cela pourrait aussi avoir un effet stabilisateur sur la question québécoise.

De plus, le Canada et l'UE pourraient verrouiller le Groenland et la Grande-Bretagne, incitant ces derniers à établir des liens plus étroits avec Bruxelles et Ottawa plutôt qu'avec Washington.

L'alliance entre le Canada, le Groenland et l'UE pourrait faire de cette coalition la plus grande puissance de l'Arctique.

Nous n'évoquons pas ce sujet pour justifier l'idée que « le Canada pourrait vraiment devenir membre de l'UE », mais pour souligner qu'il existe plusieurs points de débat susceptibles de nourrir cette discussion.

Le simple fait de discuter de ce sujet créerait une pression sur la Maison Blanche, qui, par ses propres actions, a engendré/rétabli ces discussions entre le Canada et l'UE.

La pression sur la Maison Blanche accélérerait le processus, l'héritage franco-britannique ayant un effet stabilisant sur la question québécoise, pour atténuer les tendances inacceptables aux yeux de Washington et éviter ainsi une pression interne.

Cela est nécessaire non seulement pour l'Ukraine, mais aussi pour répondre à l'intérêt direct de l'UE.

Mais comment peut-on plaider en faveur de cette approche si la Commission européenne elle-même rejette la possibilité d'une adhésion du Canada à l'UE ?

Posons la question : « Quel pays, comme l'Ukraine, pourrait le plus souffrir des actions des États-Unis au niveau de l'humiliation nationale ? » C'est le Danemark. Ce pays pourrait actualiser cette « question arctique et le Canada ». Kiev et Copenhague ont des relations très chaleureuses et solides, et les problèmes communs liés à l'administration actuelle de la Maison Blanche rapprochent encore ces liens. La voix du Danemark (qui, probablement, ne sera pas unique) deviendra particulièrement influente à partir de juillet, lorsqu'il prendra la présidence du Conseil de l'Union européenne.

La Hongrie est le joueur de Trump en Europe, et elle doit recevoir « un carton rouge». 

2. La deuxième composante consiste en la limitation du droit de vote de la Hongrie au sein de l'UE.

Les restrictions imposées à Orban. Une question qui est depuis longtemps devenue urgente, car si Bruxelles considère que le facteur géographique suffit pour ignorer le Canada, la question de savoir si le gouvernement d'Orban adhère aux valeurs et politiques communes de l'UE est désormais purement rhétorique.

En juillet 2023, le Parlement européen a adopté à une large majorité (442 voix pour, 144 contre) une résolution intitulée : « La Hongrie : les eurodéputés condamnent les actions délibérées et systématiques visant à saper les valeurs de l'UE ». Dans cette résolution, le Parlement européen a remis en question la pertinence et la possibilité d'assurer la présidence hongroise du Conseil de l'UE en 2024.

Cette décision vient compléter une résolution du Parlement européen de septembre 2022, fondée sur un rapport de la Commission, où il a été conclu que « la Hongrie ne répond plus aux normes démocratiques de l'UE et est devenue une « autocratie électorale » . En plus de ces rapports, il existe des remarques de la Commission européenne, des accusations en provenance de Bruxelles et un comportement anti-européen symbolique de Budapest, qui ignore les valeurs et orientations d'action communes à l'échelle européenne.

L'Article 7 prévoit la possibilité de retirer le droit de vote au sein du Conseil de l'UE « en cas de violation des valeurs fondamentales », et le Traité de l'UE permet, dans des cas exceptionnels, de suspendre les droits d'un État membre en cas de violations «graves et persistantes » des valeurs européennes fondamentales.

Comme nous le voyons, l'UE dispose d'une série de documents juridiques sur lesquels elle peut s'appuyer pour prendre la décision nécessaire concernant la limitation du droit de vote de Budapest. Si par le passé Budapest pouvait compter sur le soutien de la Pologne, qui enfreint également fréquemment les normes de l'UE, les relations entre Varsovie et Budapest sont désormais, si ce n'est conflictuelles, du moins éloignées de toute forme de partenariat.

Il en va de même pour un autre voisin de la Hongrie, la République tchèque, où les relations sont marquées par une forte conflictualité, notamment en raison de la position pro-russe du gouvernement d'Orban. Et après la formation de la coalition entre le SPD et les partis Svobodní, Trikolóra et PRO, il n'est pas certain que le partenaire de Babiš, issu du parti d'opposition ANO, et l'allié d'Orban, les Patriots for Europe, parviennent à remporter la victoire nécessaire pour former une coalition gouvernementale.

Avec le verdict de Le Pen, alliée d'Orban au sein des Patriots for Europe, la position du Premier ministre hongrois devient beaucoup plus fragile à l'échelle européenne.

De même, Herbert Kickl en Autriche, un autre allié d'Orban au sein des Patriots for Europe, a également perdu des positions, car malgré sa victoire électorale, il n'a pas réussi à former un gouvernement. Et désormais, la politique extérieure de l'Autriche est gérée par un gouvernement pro-européen, avec une ministre des Affaires étrangères, Beata Meinl-Reisinger, extrêmement critique envers Orban.

La volonté politique de l'UE de restreindre Viktor Orban pourrait être renforcée par l'Allemagne, où l'accord de coalition stipule que les conservateurs du nouveau chancelier allemand Friedrich Merz et le Parti social-démocrate (SPD) ont convenu d'exiger de l'UE la suspension des financements et le retrait du droit de vote pour les pays qui violent des principes clés tels que l'État de droit.

Évidemment, la Hongrie est en première ligne. Le deuxième candidat potentiel est la Slovaquie.

Sans un soutien substantiel d'un autre pays, la Slovaquie aura du mal à soutenir Orban, étant donné sa propre situation économique. Le seul pays de poids sur lequel Orban peut compter est l'Italie. Toutefois, il est difficile de prédire quelle sera la position de Giorgia Meloni vis-à-vis d'Orban. D'une part, les actions d'Orban en collaboration avec Marine Le Pen ont sapé les ambitions de Meloni de devenir la "reine de la droite", et d'autre part, les relations étroites de la Première ministre italienne avec l'administration Trump peuvent influencer ses décisions.

De plus, limiter l'un des membres de l'UE reste risqué pour Bruxelles, car il est difficile de prédire si la situation pourrait échapper au contrôle dans le cadre d'un précédent, ou si cela affecterait finalement la stabilité macroéconomique de l'Union.

Cependant, si l'UE prend la volonté politique de risquer une stabilité à court terme pour la stabilité stratégique à long terme, cela pourrait représenter un puissant facteur dissuasif pour les ambitions de Trump.

Orban n'est pas sans raison perçu comme un porte-parole des États-Unis en Europe. Non seulement par ses déclarations, mais aussi par ses liens de communication intéressants avec l'administration Trump. Par exemple, un ami proche du vice-président Pence, Rod Dreher, vit à Budapest et joue un rôle clé dans la relation entre Orban et la droite américaine, incluant Pence, Musk, Thiel, Yarvin et d'autres.

Les restrictions imposées à la Hongrie entraîneraient sans aucun doute une réaction vive de la Maison Blanche, mais cela enverrait un signal fort que l'UE maintient son unité, même face à Trump et à ses pressions. Limiter la Hongrie permettrait à Bruxelles de répondre de manière plus dynamique aux pressions de Trump, tout en protégeant l'UE de toute tentative de « sabotage interne » par certains membres qui abusent des procédures et dispositions de l'UE.

3. Troisième composante de l'UE pour limiter les actions destructrices de Trump.

Cette composante se résume en une simple expression : rejeter la peur. La peur d'une guerre commerciale potentielle et la crainte, du point de vue de la sécurité, du retrait des États-Unis d'Europe, sont des instruments utilisés par Trump pour atteindre ses propres objectifs, où une des parties doit être en position de "perte".

Le comportement de l'establishment américain, tel qu'il apparaît dans les correspondances liées au scandale SignalGate concernant les opérations au Yémen et le rôle de l'Europe, "qui doit payer pour cela", montre clairement le mépris du gouvernement américain envers l'Europe et ses alliés. Cela confirme que la pression exercée sur l'Europe est une stratégie délibérément choisie, et non simplement une façon de faire.

Ainsi, il n'est possible de maintenir cette pression que si l'on prouve que Washington perdra davantage, et pour cela, l'Europe doit comprendre qu'elle doit adopter une stratégie de non-bureaucratie et de comportements non conventionnels vis-à-vis des États-Unis. En d'autres termes, l'Europe ne doit pas chercher à négocier, mais plutôt répondre fermement et collectivement au chantage concernant le Groenland, les tarifs, la sécurité européenne et l'Ukraine en particulier.

Ce n'est que dans ce cas, par "escalade", qu'un résultat acceptable pour les deux parties pourrait être atteint, où la Maison Blanche serait obligée, en raison de plusieurs facteurs internes et externes, de manifester un niveau plus élevé de constructivité.

L'auteur de l'article:
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