ResurgamINTERNATIONAL
INFORMATION ET ANALYSE
COMMUNAUTÉ
Rechercher
Menu
18 mai 2025|10 MIN.
Partager:FacebookXingTelegram

Le chemin vers les sources : pourquoi l’OTAN européenne devrait se souvenir de son passé

La plupart des débats autour de l’OTAN tournent autour de deux questions :

  • L’Alliance appliquera-t-elle réellement l’article 5 en cas de besoin ?

  • Les États-Unis viendront-ils vraiment en aide à Londres, Paris ou Berlin ? D’ailleurs, cette question était déjà posée par Charles de Gaulle avant de lancer le programme nucléaire français.

Mais si l’on commençait par reconnaître que l’OTAN d’aujourd’hui, dans sa structure et son fonctionnement, ne correspond plus à celle qui avait été initialement fondée ?

À l’époque, le premier commandant suprême des forces alliées en Europe, le général Eisenhower, envisageait l’OTAN comme un système de sécurité à multiples «parapluies », où les pays membres seraient regroupés par zones régionales, selon la similitude de leurs défis sécuritaires et de leurs spécificités militaires.

Sachant qu’il est déjà complexe, voire impossible, de parvenir à une véritable unité d’intérêts et d’unification technico-militaire entre quelques États seulement, cette idée s’est transformée en une organisation fondée sur des commandements régionaux au sein de l’Europe.

Chaque groupe régional aurait été intégré dans un tout plus large, sous un commandement central de l’OTAN. Avec ce système, Eisenhower cherchait à résoudre plusieurs problèmes :

  1. Renforcer la solidité des alliances défensives, en les structurant autour d’intérêts communs réels – au moins au niveau subrégional, sinon de l’ensemble de l’Alliance.

  2. Accroître l’interopérabilité des armements et la coordination militaire – difficile à l’échelle d’un grand ensemble, mais bien plus réaliste à l’échelle de petits groupements régionaux.

  3. Favoriser la confiance entre alliés confrontés à des menaces similaires, en générant une dynamique de coopération politique plus forte au sein de l’Alliance. Cela aurait permis de forger une culture propre à l’OTAN.

D’un point de vue plus formel, ce régionalisme d’Eisenhower a constitué l’ossature des commandements alliés pendant toute la guerre froide. Le plan initial, élaboré par le tout premier SACEUR (Commandant suprême des forces alliées en Europe), le général Dwight D. Eisenhower, divisait les territoires de l’OTAN et les mers environnantes en plusieurs zones géographiques sous commandement distinct.

Sur terre, on distinguait trois grands commandements : les Forces alliées du Sud (AFSOUTH), centrées principalement sur l’Italie ; les Forces alliées du Centre (AFCENT), couvrant la majeure partie de l’Europe occidentale ; et les Forces alliées du Nord (AFNORTH), responsables de la Scandinavie. Plus tard, le commandement nordique s’est vu attribuer une sous-structure chargée de la défense des accès à la mer Baltique, une mission confiée aux Britanniques.

Par cette structuration territoriale, Eisenhower avait, de manière informelle mais très concrète, établi un « sous-OTAN » à l’intérieur même de l’OTAN – une architecture ayant perduré jusqu’aux années 1990. Ce système s’est révélé efficace, avec un haut niveau d’implication naturelle de la part des États, et n’a pas suscité de remises en question quant à la confiance qu’on pouvait lui accorder.

Mais après les années 1990, les États-Unis ont commencé à critiquer ce système, qui fut finalement aboli en 2002.
La principale raison de cette critique américaine était leur volonté de remodeler la structure européenne de l’OTAN pour mieux servir leurs propres objectifs. L’intérêt stratégique majeur des États-Unis – la dissuasion de l’Union soviétique – avait disparu avec son effondrement.

Autrement dit, les Américains ont progressivement abandonné une logique territoriale de défense au profit d’opérations extérieures limitées mais permanentes, loin de l’Europe, et surtout, loin des intérêts européens, mais en adéquation avec ceux de Washington.

Jusqu’à la chute de l’URSS, les intérêts européens et américains au sein de l’OTAN étaient globalement convergents. Après cela, l’alliance s’est transformée en instrument au service d’un intérêt exclusivement américain : disposer d’alliés pour mener des «missions de police » à l’étranger, tout en maintenant un marché captif pour les commandes de l’industrie de défense américaine.

Aujourd’hui encore, l’intérêt prioritaire des États-Unis s’est déplacé vers la confrontation avec la Chine — ce qui, selon la grille de lecture de l’actuelle administration américaine, dépasse largement le cadre des intérêts naturels du continent européen.

La fin de l’URSS a ainsi été utilisée comme prétexte pour dénoncer une « structure prétendument obsolète » de l’OTAN, alors qu’elle était peut-être moins urgente, mais en aucun cas dépassée.

Les États-Unis ont transformé l’Alliance d’un pacte défensif en une organisation fournissant légitimité et infrastructure pour des interventions militaires américaines outre-mer.

Le 11 septembre 2001 a marqué un tournant : l’OTAN a été restructurée, aussi bien dans sa forme que dans sa fonction. Elle est passée d’un garant territorial de la sécurité collective à un outil d’intervention militaire limitée, souvent à caractère antiterroriste.

Dès lors, la vraie question n’est plus : « L’OTAN appliquera-t-elle l’article 5 si nécessaire ? », mais plutôt : « L’OTAN actuelle a-t-elle encore quelque chose à voir avec l’idée originelle qui a présidé à sa création ? »

L’OTAN traverse aujourd’hui une phase de dégénérescence structurelle, tendant à devenir un équivalent dysfonctionnel de l’OTSC russe — une organisation où les intérêts communs des membres sont supplantés par l’usage géopolitique de l’alliance au service d’une seule puissance.

Ce que représente aujourd’hui l’OTSC pour le Kremlin, l’OTAN semble peu à peu le devenir pour les États-Unis.

La cause profonde de cette dérive réside dans la divergence croissante des intérêts entre les États-Unis et l’Europe.

Les dirigeants européens ont du mal à accepter que ce qui a assuré leur sécurité pendant plus de 75 ans est aujourd’hui en voie d’auto-dissolution. Et qu’un choix s’imposera tôt ou tard : soit prolonger l’illusion jusqu’à la « mort clinique » — c’est-à-dire l’invalidation de l’article 5 — soit assumer la responsabilité d’une refondation de l’OTAN sur la base d’un « intérêt commun » restreint au continent européen. En d’autres termes : revenir à la source.

Peut-on moderniser l'OTAN sans la refonder ?

Il sera difficile de moderniser l'OTAN dans sa forme actuelle, car un produit (politique, bancaire, marketing) ayant perdu la foi et la confiance de ses consommateurs a peu de chances de retrouver ce niveau de « confiance » simplement par des réformes isolées.

La restauration de la confiance ne pourra être obtenue que par un rebranding profond ou une refondation, cette dernière étant souvent le produit d'un rebranding profond, visant à restaurer la confiance dans un produit par la construction effective de cette confiance à partir de zéro.

Ma proposition consiste à ce que l'OTAN — sa partie européenne — revienne à la «vision Eisenhowerienne » de son fonctionnement. En fait, il s'agirait de refonder l'Alliance atlantique en une Union européenne de défense (UED).

L'UED serait unie par des intérêts européens communs en matière de sécurité et par le désir d’une stabilité stratégique pour assurer le développement durable des membres du groupe.

Cependant, même le continent européen présente des intérêts divergents en matière de sécurité. Par conséquent, sur le plan organisationnel, on pourrait reprendre les idées d'Eisenhower et créer trois « parapluies européens », ou zones de coopération active, selon le principe régional. Ce qui, autrefois, contenait le puissant Union soviétique, pourrait également contenir la version affaiblie qu'est la Moscovie moderne.

Sur la base de traités interétatiques, on pourrait créer : un parapluie de sécurité Atlantique occidental, un parapluie Baltique-noir, et un parapluie Balkan-Méditerranéen.

Chaque groupe aurait ses propres missions et intérêts spécifiques :

Le groupe atlantique occidental

Ce groupe regrouperait les pays d'Europe de l'Ouest (Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Belgique et Portugal), dotés d’un accès à l’océan mondial, de territoires d’outre-mer, et d’une structure militaire fortement axée sur les forces navales. Sa mission principale consisterait à mener des opérations de défense et de dissuasion hors d’Europe, ainsi qu’à assurer une composante maritime (océanique) grâce aux capacités navales développées de ces pays.

Le groupe baltique-mer Noire

Ce groupe inclurait l’Allemagne, la Pologne, l’Ukraine, la Roumanie, la Tchéquie, les pays baltes et scandinaves. Sa mission principale serait la dissuasion et la résistance face à la Moscovie, ainsi que la sécurisation des bassins de la mer Baltique et de la mer Noire.

Le groupe balkanico-méditerranéen

Ce groupe serait composé de l’Espagne, de l’Italie et des pays des Balkans. Sa fonction essentielle consisterait à protéger l’Europe contre l’immigration illégale, la contrebande d’armes et de drogues en provenance d’Afrique.
Ses principales activités seraient le patrouillage, la surveillance, le déploiement rapide de missions de police à proximité territoriale, ainsi que le maintien de la stabilité dans les Balkans en cas de besoin ou de provocation extérieure.

Ces trois groupes (ou "parapluies") seraient autonomes, mais liés entre eux par une série de traités intergouvernementaux formant un ensemble plus vaste, base d’une Union européenne de défense (UED), qui pourrait soit constituer une alternative à l’OTAN, soit coexister avec elle comme une structure régionale sous son parapluie — dans le cas où certains États auraient des difficultés à adopter un nouveau cap géopolitique.

Le second pilier, après la construction de la structure organisationnelle, serait le renforcement du potentiel nucléaire de l’UED, au minimum jusqu’à un seuil suffisant pour dissuader la Moscovie.

Selon les estimations, une dissuasion crédible à parité avec le Kremlin nécessiterait au moins un millier d’ogives, capables d’être déployées par les trois composantes de la triade nucléaire : mer, terre et air.

Peut-être faudra-t-il bientôt y ajouter l’espace.
L’Europe devrait en pratique doubler son potentiel nucléaire actuel de 550 ogives détenues à deux — par la France et le Royaume-Uni.

Un déséquilibre entre les parapluies

Dans une telle structure, toutes les armes nucléaires disponibles — soit plus de 500 ogives — se retrouveraient concentrées dans le groupe atlantique occidental (au Royaume-Uni et en France).
À l’inverse, le groupe baltico-mer Noire, qui devrait pourtant être la principale force de dissuasion face à la Moscovie nucléaire, demeure « nucléairement nu ».

Parmi les pays de ce groupe susceptibles de devenir une base nucléaire, l’Allemagne est soumise à l’engagement de ne pas développer son propre arsenal, et l’opinion publique y est largement opposée.
La Pologne, quant à elle, mise sur l’hébergement d’armes nucléaires américaines, mais ne possède aucune expérience concrète dans l’énergie nucléaire, en dehors de son réacteur de recherche « Maria ».

Le choix le plus logique serait l’Ukraine, qui dispose d’un potentiel atomique, de réserves d’uranium, d’une expérience passée en matière d’armement nucléaire, d’un héritage scientifique et technologique, ainsi que d’un programme actif de développement de vecteurs balistiques.

L’Ukraine, qui devrait adopter une stratégie défensive de type « hérisson » pour garantir sa propre sécurité, pourrait également fournir un parapluie nucléaire régional.

Ce rôle ne bénéficierait pas seulement à l’Ukraine, en tant que garantie de sa sécurité, mais à l’ensemble de l’Europe — car il n’existe tout simplement pas de force plus naturelle et plus fiable à qui confier la dissuasion face à Moscou.

Plus tôt les dirigeants européens comprendront que toute structure politico-sécuritaire est par essence évolutive, et que reconnaître le caractère transitoire de l’OTAN dans sa forme actuelle n’est pas une tragédie, mais une étape logique du développement, plus tôt cette évolution pourra s’opérer vers de nouvelles.

L'auteur de l'article:
INTERNATIONAL INFORMATION ET ANALYSE COMMUNAUTÉ Resurgam
Partager:FacebookXingTelegram

Vous pourriez être intéressé