Le gouvernement Fico vacille. La Slovaquie ira-t-elle vers des élections anticipées ?
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Cet article examine les tensions internes à la coalition, les problèmes économiques et les perspectives électorales pouvant conduire à des élections anticipées.
Des relations tendues au sein de la coalition
Après la formation de la coalition, les postes ont été répartis selon le poids des fractions. Le parti socio-conservateur Smer a obtenu le poste de Premier ministre, le parti social-démocrate Hlas la présidence du Parlement, et le parti nationaliste SNS, en tant que plus petite fraction, les ministères de l’Environnement, du Tourisme et de la Culture.
Les dirigeants de la coalition au pouvoir en octobre 2023
Pellegrini a remporté l’élection au second tour et est devenu président de la Slovaquie. Il a ainsi quitté la présidence du Parlement. Pour pourvoir le poste vacant, Hlas a proposé la candidature de Richard Raši, ministre de l’Investissement, du Développement régional et de l’Informatique. Mais Andrej Danko a déclaré qu’il souhaitait récupérer pour lui-même le poste de président du Parlement, fonction qu’il avait déjà occupée de 2016 à 2020, succédant justement à Pellegrini lorsque ce dernier était devenu Premier ministre. Smer a soutenu les ambitions de Danko, en particulier le ministre de la Défense Robert Kaliňák. Hlas s’y est catégoriquement opposé. Le Parlement a ainsi fonctionné une année entière sans président – un record depuis l’indépendance de la Slovaquie. Cette situation a encore approfondi l’hostilité entre Pellegrini et Danko. Le plus important est que Danko n’a pas renoncé à ses ambitions à la suite de négociations – qu’il a quittées prématurément – mais à cause d’une crise interne dans son propre fraction.
Déjà en octobre 2024, le groupe parlementaire du SNS s’est scindé lorsqu’un groupe de députés, dirigé par Rudolf Huliak, a annoncé qu’il ne voterait plus avec le gouvernement tant que le nom de son Parti paysan ne serait pas ajouté à celui du groupe et que Huliak n’obtiendrait pas un portefeuille ministériel. Cela a été rendu possible par la manière dont la liste électorale du SNS avait été formée en 2023 : elle incluait des représentants d’autres partis, ce qui avait permis au SNS de revenir au Parlement, mais son seul représentant véritable était Danko ; trois députés venaient du Parti paysan, trois du Parti national «Vie» et trois étaient indépendants. Sans ces trois députés, le groupe parlementaire SNS risquait la dissolution. Pour éviter cela, Smer a « prêté » un de ses députés afin de maintenir le groupe. En parallèle, la coalition s’est réduite à un minimum de 76 sièges. Huliak refusait de négocier avec Danko et acceptait de parler uniquement avec Fico.
Dans le même temps, des tensions apparaissaient aussi au sein de Hlas. Après son élection à la présidence de la République, Peter Pellegrini a quitté la direction du parti. Il a été remplacé par le ministre de l’Intérieur Šutaj Eštok, qui a rapproché la ligne du parti de celle de Smer, allant jusqu’à accuser l’Ukraine d’une cyberattaque contre la Slovaquie. Ce changement a déplu à plusieurs députés, dont Samuel Migal, Radomír Šalitroš (tous deux exclus du parti le 25 janvier), Ján Ferenčák et Roman Malatinec. Les quatre ont refusé de soutenir la coalition, transformant le gouvernement en minorité. De plus, Malatinec a quitté Hlas pour rejoindre le Parti paysan de Huliak, ce qui a choqué les dirigeants de Hlas. Pour diviser ce groupe, ils ont exclu Migal et Šalitroš.
Fico a dû intervenir dans les querelles internes de ses partenaires. La crise a été résolue en mars par une redistribution des portefeuilles : Samuel Migal est devenu ministre de l’Investissement, du Développement régional et de l’Informatique, et Rudolf Huliak ministre du Tourisme et des Sports. Par ailleurs, Richard Raši, député de Hlas, a été élu président du Parlement.
Andrej Danko s’est retrouvé sans réel pouvoir sur la fraction SNS, et son parti a perdu un ministère. Il ne lui reste plus qu’à critiquer Fico et à se quereller avec Pellegrini.
Il a fallu un an pour surmonter cette crise, ce qui s’explique notamment par l’attentat contre Robert Fico, qui l’a éloigné de ses partenaires de coalition. Les membres de la majorité remarquent que le Premier ministre s’est entouré d’un cercle de plus en plus restreint, rendant l’accès à lui difficile. Aujourd’hui, il est accompagné principalement de son fidèle allié, le ministre de la Défense Robert Kaliňák, et de l’ancien chef de la police et vice-président du Parlement Tibor Gašpar.
Aujourd'hui, la coalition tient principalement grâce à la réticence de ses membres à se présenter aux élections.
Problèmes économiques
L’économie slovaque est confrontée à plusieurs difficultés, telles qu’une inflation élevée et une instabilité politique, qui freinent les réformes et l’utilisation des fonds européens.
Par exemple, en mars, la Banque nationale slovaque a revu à la baisse ses prévisions de croissance économique pour la Slovaquie. Pour cette année, la croissance attendue est de 1,9 %, au lieu de 2,3 % prévus encore en décembre 2024. L’inflation devrait atteindre 4,3 % contre 4,1 % auparavant. Cette situation résulte principalement de l’incertitude croissante dans l’économie mondiale et nationale. En juin, les prévisions de croissance ont encore été abaissées à 1,2 %.
Dans ces conditions, le gouvernement doit mettre en œuvre les mesures d’assainissement budgétaire les plus importantes. Selon un expert du Conseil de responsabilité budgétaire, il faudra trouver près de 5 milliards d’euros au cours des trois prochaines années, mais pour l’instant le gouvernement reste silencieux sur les mesures concrètes. Par ailleurs, l’exécutif évite le dialogue avec les acteurs clés du pays. L’Union républicaine des employeurs (RÚZ) a déclaré n’avoir reçu aucun projet de réforme, alors que la réunion du Conseil économique et social de la République slovaque doit se tenir dans deux semaines, le 18 août. Les employeurs trouvent absurde de devoir s’exprimer sur le plus grand projet de réforme de ces dernières années sans avoir reçu au préalable les documents nécessaires.
Tandis que le gouvernement reste muet, l’opposition s’exprime. Le parti Slovaquie progressiste (Progresívne Slovensko) a annoncé que le gouvernement préparait une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 25 %. Dans les précédents paquets de consolidation, la TVA avait déjà été relevée de 20 % à 23 %. Une nouvelle augmentation entraînerait une hausse supplémentaire des prix dans les magasins, mais elle permettrait aussi d’alimenter le budget de l’État de plusieurs centaines de millions d’euros.
Dans le même temps, la Confédération des syndicats (KOZ) propose son propre paquet de mesures : introduction d’une taxe bancaire, relèvement de l’impôt sur les sociétés à 22 %, taxation des dividendes ainsi que de nouvelles taxes sur l’immobilier de luxe, les services numériques et les boissons sucrées. Mais ces propositions sont critiquées par les employeurs, qui refusent toute hausse d’impôts, estimant qu’elle nuirait à l’activité économique du pays.
Outre la recherche de recettes, il est nécessaire de réduire les dépenses. Les milieux économiques ont présenté leurs propositions : suppression des retraites anticipées après 40 ans de cotisation, fin des chèques-vacances, de la treizième pension et de la gratuité des transports ferroviaires pour les étudiants et les retraités. Mais ces propositions se heurtent à résistance farouche du Premier ministre Fico, connu pour accroître les dépenses sociales plutôt que pour les réduire. De plus, une telle politique affecterait sa popularité.
Le gouvernement n’a en réalité pas le temps d’hésiter. L’économie a besoin de décisions rapides et claires. Rien qu’en juillet, 34 faillites d’entreprises ont été enregistrées, soit une hausse de 42 % par rapport à juin et de 112,5 % par rapport à juillet 2024.
L’adoption du budget 2026 approche. Les questions « que faire ? » et « comment le faire ? » deviennent de plus en plus pressantes. Pour l’instant, il est clair que Fico n’entend pas renoncer à ses promesses populistes et qu’il compte utiliser les fonds européens pour les financer. Il a récemment affirmé que, d’ici 2026, 90 % des ménages devraient bénéficier de prix plus bas pour l’énergie, grâce à une compensation financée par les fonds européens. Dans le même temps, il a nié vouloir relever la TVA à 25 %. Il est probable que Fico évitera pour l’instant d’annoncer des mesures économiques impopulaires, mais dès la session parlementaire d’automne, son gouvernement sera contraint de prendre des décisions difficiles, et rapidement : en novembre, expire le régime d’« immunité » de deux ans permettant au gouvernement d’adopter un budget avec un déficit supérieur aux limites fixées. Le déficit budgétaire actuel atteint 4,9 % du PIB, et il devrait monter à 5,1 % en 2026.
Selon les règles, si Fico échoue, il devra demander un vote de confiance au Parlement. L’opposition ou d’autres organisations pourraient aussi saisir la justice pour obliger le gouvernement à réduire ses dépenses. La coalition ne disposera que de deux mois pour faire adopter un budget qui lui soit favorable – un délai très court, surtout si l’on se souvient que le budget de cette année n'a été approuvé qu'en décembre 2024.
Un élément positif dans cette situation est que le besoin de fonds européens rendra Bratislava plus conciliante dans ses relations avec Bruxelles et lors de l’adoption de sanctions contre la Russie à l’avenir.
Indicateurs sociologiques et éventuelles élections anticipées
Compte tenu de tous les défis et du dysfonctionnement de la coalition, ne serait-il pas plus simple pour Fico de provoquer des élections anticipées et de tenter de reformater le gouvernement dans un nouveau Parlement ? Pour l’instant, un tel scénario semble irréalisable.
Si l’on observe les enquêtes d’opinion, Smer occupe régulièrement la deuxième place. En tête se trouve le parti d’opposition Slovaquie progressiste (Progresívne Slovensko). Cela signifie qu’en cas d’élections anticipées, c’est l’opposition qui aurait le premier droit de former un gouvernement. Mais ce n’est pas le plus grand problème de Fico.
Tendances électorales actuelles en Slovaquie. PolitPro
Cela ne signifie pas pour autant que l’opposition aurait la tâche facile. Les sondages actuels montrent qu’il faudrait une coalition de quatre partis : Slovaquie progressiste, ainsi que les formations de centre droit Slovakia, SaS et KDH. Une telle coalition pourrait inclure Slovaquie progressiste, ainsi que les partis de centre-droit Slovaquie, SaS et KDH.
Tendances électorales actuelles en Slovaquie. PolitPro
Il suffira d'adopter le « bon » budget et de constater des changements dans les sondages en faveur de Fico pour qu'il se décide à se représenter aux élections. La situation est actuellement difficile pour le Smer, dont les sondages sont en baisse constante. Ce ne sont pas encore les pires résultats du parti, mais la tendance est claire.
Il ne faut pas non plus exclure un « cygne noir » qui pourrait faire tomber la coalition malgré Fico. Aujourd’hui, ce rôle pourrait être joué par le scandale lié à l’appel d’offres pour les ambulances. Fico et Danko ont déjà commencé à critiquer le ministre de la Santé issu de Hlas à ce sujet, et cette affaire pourrait sérieusement déstabiliser la coalition, où les partenaires ne se supportent déjà guère.
L’influence russe en Slovaquie
Depuis le retour au pouvoir de Robert Fico, la Russie a beaucoup plus de facilité à accroître son influence dans le pays. Tout d'abord, parce que la coalition au pouvoir comprend le parti SNS, qui s'oppose à l'intégration européenne de l'Ukraine et à son adhésion à l'OTAN et souhaiterait que la Slovaquie elle-même reste en dehors de ces structures.
Robert Fico utilise régulièrement des récits russes, accusant l’UE, l’OTAN et l’Ukraine d’être responsables de la poursuite de la guerre déclenchée par la Russie. Dans le même temps, il se rend à Moscou et rencontre Vladimir Poutine. On peut également entendre des accents pro-russes dans les propos du chef du parti Hlas, Šutaj Eštok, lorsqu'il critique ses collègues tchèques pour avoir signalé l'implication possible de la Russie dans l'affaire de la menace dans les écoles, lors de l'opération visant à arrêter l'auteur des menaces envoyées aux écoles slovaques, ou lorsqu'il accuse l'Ukraine d'avoir lancé une cyberattaque contre la Slovaquie.
Mais même sans l’action du gouvernement, la société slovaque est déjà la plus vulnérable à la propagande russe parmi les pays d’Europe centrale. Seuls 25 % des Slovaques font confiance aux médias, ce qui crée un terrain fertile pour la désinformation russe. Dans le même temps, l’ambassade de Russie à Bratislava est la plus active sur Facebook parmi toutes les ambassades.
Il convient toutefois de noter que, dans de nombreux cas, la rhétorique de Fico est plus radicale que ses actions. Il a menacé de couper l’électricité vers l’Ukraine, de mettre son veto à l’aide européenne, de suspendre l’aide humanitaire et de supprimer les avantages accordés aux réfugiés ukrainiens en Slovaquie. Mais aucune de ces menaces n’a été mise en œuvre. Le seul geste concret fut le blocage du 18e paquet de sanctions, levé à l’approche de l’adoption du budget 2026. Fico sait pertinemment qu’il ne dispose pas de leviers réels sur l’UE, et qu’à l’intérieur du pays, il ne bénéficie pas d’une domination totale : il suffit de rappeler les manifestations de l’hiver contre la politique prorusse de son gouvernement.
Un autre facteur de l’influence russe est la poursuite des importations d’énergie depuis la Russie. Le gouvernement actuel ne prévoyait pas d’y mettre fin, mais la décision de la Commission européenne d’interdire l’achat de gaz russe obligera Bratislava à agir. Fico a tenté de maintenir cette possibilité en bloquant le 18e paquet de sanctions, mais il a probablement reçu de Bruxelles une offre d’aide financière accrue. Les détails n’ont pas été publiés. Quoi qu’il en soit, le fait que la Slovaquie renonce finalement au gaz russe est une bonne nouvelle pour l’Ukraine, car cela privera Moscou de ce marché européen. Pour l’instant, l’Ukraine ne peut que suivre ce processus, car il n’existe pas d’outils spécifiques pour l’accélérer.
Conclusions
La Slovaquie est dirigée par un gouvernement marqué par une rhétorique prorusse, mais qui ne dispose pas d’un soutien total de la population et peut s’effondrer à tout moment. Cela la distingue fortement de la Hongrie, où Viktor Orbán a établi un contrôle quasi total sur la vie politique et sociale.
L’adoption du prochain budget sera une épreuve cruciale pour la coalition au pouvoir et montrera si elle peut tenir encore un an. En cas d’adoption d’un budget sans le régime d’immunité sur le déficit, Fico sera confronté à un dilemme : aller aux élections dès maintenant, lorsqu’il peut espérer la deuxième place et un grand nombre de sièges, ou attendre 2027 au risque de subir une défaite plus lourde.
Il pourrait choisir d’annoncer des élections anticipées l’année prochaine et passer un temps dans l’opposition, pendant qu’un autre gouvernement mettra en œuvre des réformes impopulaires, avant de revenir triomphalement au scrutin suivant. Ce scénario lui a déjà réussi par le passé.
Article analytique préparé par Ostap Denysenko, commentateur de la politique slovaque, exclusivement pour Resurgam.
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