ResurgamINTERNATIONAL
INFORMATION ET ANALYSE
COMMUNAUTÉ
Rechercher
Menu
30 juin 2025|12 MIN.
Partager:FacebookXingTelegram

Qu’attend l’économie russe : une récession ou un simple "refroidissement" avec une perspective de reprise ?

Anatoly Maltsev/EFE via EPA

Lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF), qui s’est tenu cette année du 18 au 21 juin, le ministre russe du Développement économique, Maksim Rechetnikov, a déclaré que l’économie russe était au bord d’une récession. De son côté, le ministre des Finances, Anton Silouanov, a qualifié la situation actuelle de simple « refroidissement », ajoutant avec optimisme que « l’été vient toujours après l’hiver ». Qui dit vrai ?

On constate actuellement que, aux problèmes déjà chroniques de l’économie russe — dans l’industrie charbonnière, le réseau ferroviaire ou encore les budgets régionaux — viennent s’ajouter de nouveaux foyers de crise : la métallurgie, le secteur agricole, ainsi qu’une crise désormais bien ancrée dans l’immobilier et les investissements étrangers.

Pour en savoir plus sur ces difficultés structurelles, voir l’article : « La stagflation est arrivée : le cercle vicieux de l’économie russe qui mènera le Kremlin à la catastrophe ».

Crise dans la métallurgie

Les sanctions, la perte des marchés extérieurs et un taux directeur élevé ont plongé la métallurgie russe — l’un des plus grands secteurs industriels du pays, employant plus de 600 000 personnes et générant environ 10 % des revenus d’exportation — au bord de l’effondrement.

Selon Worldsteel, la production d’acier en Russie a chuté de 7 % en 2024 par rapport à l’année précédente, atteignant 70,7 millions de tonnes — le pire résultat parmi les dix plus grands producteurs mondiaux. Les principales entreprises sidérurgiques russes ont réduit leur production de 8 à 14 %. À titre d’exemple, le complexe sidérurgique de Magnitogorsk, le plus grand du pays, a vu sa production d’acier chuter de 14 %, et celle de fonte de 4,5 %.

Production mondiale d’acier brut en 2024

Indicateurs clés du marché de l’acier en Russie entre 2020 et 2024, en millions de tonnes. GMK Center

D’après GMK Center, la tendance reste négative en 2025 : entre janvier et mai, la production d’acier a encore diminué de 5,2 % par rapport à la même période de l’année précédente, toujours selon Worldsteel.

Top 10 des pays producteurs d’acier (données de mai 2025). Worldsteel

Les volumes d’exportation d’acier russe ont également continué à baisser au cours des deux dernières années. Selon Metaltorg, en 2023, la Russie a exporté 13,8 millions de tonnes de demi-produits en acier — une baisse de 16,6 % par rapport à 2022. L’exportation de produits laminés finis a chuté de 16,9 %, et celle de tôles laminées à plat de 23,9 %.

Aucune statistique complète d’exportation pour 2024 n’est disponible dans les sources ouvertes. Le manque de transparence des données douanières russes constitue un obstacle majeur à l’analyse du marché sidérurgique. Néanmoins, plusieurs estimations indépendantes indiquent une baisse significative. D’après Metals & Mining Intelligence, les exportations d’acier de la Russie ont chuté de 22 % entre janvier et septembre 2024, atteignant 14,1 millions de tonnes. Selon l’association Russlom, elles ont diminué de 19,5 % sur l’ensemble de l’année, tombant à 20,2 millions de tonnes — soit une baisse de 39,4 % (13,1 millions de tonnes) par rapport à 2021. Les exportations de fonte ont diminué de 19,4 % à 2,9 millions de tonnes, et celles de tubes de grand diamètre ont été divisées par quatre : de 436 000 tonnes à moins de 100 000.

Exportations d’acier de la Russie de 2020 à 2024, en millions de tonnes. GMK Center

Selon le PDG de Severstal, Aleksandr Cheveliov, l’industrie sidérurgique pourrait, en 2025, se retrouver avec jusqu’à 6 millions de tonnes d’acier invendues — soit près de 10 % de la production de l’année précédente. Lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, il a averti que la consommation intérieure pourrait passer de 43–45 millions à seulement 39 millions de tonnes cette année.

Parallèlement, les ventes à l’export sont devenues non rentables en raison de la forte appréciation du rouble. Cheveliov estime que l’industrie a besoin d’un taux de change dollar/rouble entre 90 et 100, ainsi que d’une baisse du taux directeur de la banque centrale, afin de relancer l’activité économique dans les secteurs consommateurs d’acier.

Enfin, par effet domino, cette nouvelle crise dans la métallurgie aggrave encore davantage les difficultés déjà bien présentes dans l’industrie houillère.

Crise dans le secteur agricole

Les exportations de céréales, qui figurent parmi les principales sources de devises pour l’économie russe (15,5 milliards de dollars en 2023), sont en forte baisse. Selon les estimations de l’Union russe des céréales (URC), entre le 1er et le 15 juin, les exportations de blé russe ont chuté de 4,8 fois par rapport à la même période en 2024, pour atteindre 565 000 tonnes.

La baisse des exportations s’observe à plusieurs niveaux : en volume (de 185 000 à 38 000 tonnes), en nombre de pays destinataires (de 40 à 11), de ports utilisés pour les expéditions (de 29 à 11) et d’entreprises exportatrices (de 77 à seulement 14).

Ce recul s’explique notamment par la diminution des stocks de blé en Russie (30 à 35 % inférieurs à ceux de la saison précédente), mais aussi par une concurrence accrue due à des prix plus bas dans les pays européens. Au 15 juin, le prix à l’exportation du blé russe atteignait 238 dollars la tonne, contre 227 pour le blé français et 219 pour l’américain. Le coût de production du blé russe est devenu plus élevé en raison des sanctions, qui ont fait grimper les coûts de culture, rendant impossible le soutien des exportations par la vente des stocks comme les années précédentes.

Un événement marquant de cette crise est l’arrêt, au 1er juin, de l’activité du plus grand fabricant russe de machines agricoles, l’usine Rostselmach. L’entreprise a placé l’ensemble de ses salariés en congé forcé dès le mois de juin, avançant les vacances prévues initialement en août et septembre comme les années précédentes. Depuis l’automne 2024, l’entreprise a déjà licencié 2 000 employés, selon les déclarations de son directeur général, Konstantin Babkine, début mai.

Cette décision, prise en pleine période de travaux agricoles, s’explique par le manque de liquidités chez les agriculteurs, incapables d’acheter ou de réparer leur matériel. Le marché s’effondre sous l’effet combiné du coût élevé des crédits, des droits d’exportation importants, et de la hausse des prix des carburants et des engrais, rendant l’agriculture non rentable dans de nombreuses régions.

La politique monétaire stricte de la Banque centrale rend les crédits commerciaux — aujourd’hui à près de 30 % — inaccessibles pour la majorité des agriculteurs, qui s’en servent habituellement pour financer l’achat d’équipements. D’après Rostselmach, les ventes de machines agricoles en Russie ont chuté de 76 % pour les moissonneuses-batteuses à grains, de 49 % pour les ensileuses, et de 48 % pour les tracteurs, comparé à la même période en 2021, année faste pour l’agriculture.

Arkadi Zlotchevski, président du lobby de l’Union russe des céréales, a alerté sur les risques d’une détérioration de la situation : si les agriculteurs ne peuvent pas renouveler leur matériel, ils deviendront plus vulnérables face aux aléas climatiques. La modernisation de l’équipement permet en effet une meilleure exploitation des périodes de conditions favorables.

Crise dans l'immobilier

De nouvelles données révèlent une chute de 40 % des ventes d’appartements neufs en glissement annuel. En mai, les Russes ont acheté 1,7 million de mètres carrés de logements — soit 300 000 de moins qu’en avril (2 millions) et 200 000 de moins qu’en mars (1,9 million). Sur les cinq premiers mois de l’année, la baisse atteint 16 %, contre 10 % entre janvier et avril.

Cette chute s’explique en partie par un « effet de base » élevé. L’année précédente, à la même période, une forte demande avait été observée avant la fin d’un programme public très populaire : le prêt hypothécaire subventionné sans condition, proposé à 8 % d’intérêt annuel.

Face à la baisse de la demande, les promoteurs immobiliers se limitent à terminer les projets en cours, tout en évitant de lancer de nouveaux chantiers. Ce ralentissement dans la construction réduit la demande d’acier et aggrave les pertes de revenus du réseau ferroviaire.

Crise de l’investissement et fuite des capitaux

Le seul moyen d’enrayer cet effet domino aurait été un afflux massif d’investissements étrangers, ou au moins un arrêt de la fuite de capitaux. Or, le ministère russe des Finances a reconnu qu’il était impossible de stopper la sortie des capitaux étrangers.

Malgré les mesures drastiques introduites en 2024 pour décourager les entreprises étrangères de quitter le marché — obligation de vendre leurs actifs à 40 % de leur valeur estimée, et de reverser 35 % de cette somme au budget de l’État —, ces dispositifs n’ont pas empêché leur départ. Selon le ministère des Finances, « des dizaines » d’entreprises étrangères quittent encore le pays chaque mois.

D’après la Banque centrale de Russie, les investissements directs étrangers sont passés de 497,7 milliards de dollars début 2022 à seulement 216 milliards début 2025, soit une chute de 57 %, atteignant leur niveau le plus bas depuis 2009.

L’un des sujets abordés au Forum économique international de Saint-Pétersbourg concernait un éventuel retour des entreprises étrangères sur le marché russe. Mais les représentants du monde des affaires russe sont sceptiques. Selon Andreï Kostine, président de la banque publique VTB, aucune entreprise étrangère ne se dit aujourd’hui prête à revenir. Il a souligné qu’un véritable marché boursier ne peut exister sans la participation d’investisseurs étrangers.

Problème du rouble fort

Le rouble russe, devenu exceptionnellement fort, s’est transformé en instrument d’autodestruction. Depuis le début de l’année, il s’est apprécié de plus de 45 %, passant de 113,75 à 78,41 roubles pour un dollar. Pourtant, en avril, le ministère du Développement économique tablait sur un taux moyen annuel de 94,3 roubles pour un dollar en 2025, et de 98,7 d’ici la fin de l’année.

Comment le taux de change du rouble a évolué pendant la guerre. The Insider

Selon un rapport de la Banque centrale publié en mai, plusieurs facteurs expliquent cette hausse : un taux directeur élevé (qui décourage l’achat de biens importés à crédit tout en incitant à épargner en roubles), un effet saisonnier (l’activité d’achat baisse en début d’année), l’espoir d’un cessez-le-feu rapide et d’un allègement partiel des sanctions, et la diminution de la demande de voitures importées. Mais le principal facteur reste la réduction physique des importations, affectées à la fois par les sanctions et par une baisse générale de la demande, elle-même due à la hausse des taux, au ralentissement de la croissance économique et à un marché du travail en perte de vitesse. Moins d’importations signifie aussi moins de demande en devises étrangères.

Les grandes perdantes de cette situation sont les entreprises exportatrices, principale source de recettes en devises pour le budget russe. Un rouble fort entraîne une baisse des revenus en roubles issus des exportations de pétrole et de gaz — les piliers du budget national. En mai, ces recettes ont chuté d’un tiers par rapport à mai 2024, et de 53 % par rapport à avril. Depuis janvier, les revenus issus du pétrole et du gaz ont baissé de 14 % par rapport à l’an dernier.

En mai, le prix du baril de pétrole russe Urals en roubles est tombé à 4 195 roubles. Après l’escalade des tensions entre l’Iran et Israël le 13 juin, le prix a brièvement dépassé les 60 dollars. Toutefois, selon les calculs de Bloomberg, les revenus effectifs des exportateurs russes se sont limités à 4 957 roubles par baril — près de 30 % de moins qu’en début d’année. Résultat : aucun gain réel pour la Russie

Le prix par baril du pétrole Urals russe en roubles. Bloomberg

Cette fermeté du rouble coûte cher non seulement au budget de l’État, mais aussi aux banques : au premier trimestre, leurs pertes dues au réajustement de change se sont élevées à 149 milliards de roubles.

Face à la baisse des revenus et au déficit budgétaire, les responsables russes et les acteurs du secteur bancaire réclament ouvertement une dépréciation du rouble, et plaident pour un taux de change situé entre 90 et 100 roubles pour un dollar. 

Lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, le président de Sberbank, German Gref, a déclaré que le taux de change actuel était « loin de l’équilibre » et devait dépasser les 100 roubles pour un dollar. Andreï Kostine, président de VTB, a quant à lui qualifié la vigueur du rouble de « nuisible pour l’économie ». Le premier vice-Premier ministre, Denis Mantourov, a lui aussi déploré l’impact négatif du rouble fort sur les exportations hors secteur énergétique.


Ainsi, tous les indicateurs montrent qu’il ne s’agit pas d’un simple ralentissement passager de l’économie russe, mais bien d’une entrée inexorable dans un véritable « hiver économique ».

L'auteur de l'article:
INTERNATIONAL INFORMATION ET ANALYSE COMMUNAUTÉ Resurgam
Partager:FacebookXingTelegram

Vous pourriez être intéressé